Cravate (détail), Karen Bulow, 1956. Don de Léonard Fournier et Louise Décarie, M2012.64.28 © Musée McCord
C’est au Danemark, où elle est née, que Karen Bulow a appris la technique du tissage auprès de sa mère. En 1929, à l’âge de 30 ans, elle s’installe à Montréal avec son métier à tisser et entreprend ce qui deviendra une remarquable carrière en artisanat. Elle en viendra à être désignée « tisserande no 1 au Canada », et son entreprise éponyme innovatrice connaîtra des décennies de succès.
À son arrivée à Montréal, Bulow travaille d’abord comme professeure à la Corporation canadienne de l’artisanat tout en créant sur commande ses propres étoffes tissées à la main dans un atelier qu’elle loue au centre-ville. Dans les années 1930, elle fonde une entreprise qui, en 1940, portera le nom officiel de , par l’entremise de laquelle elle vend des draperies et des tissus d’ameublement pour le marché de la décoration intérieure.
Tandis que son entreprise prend de l’expansion, Bulow cherche à transmettre son savoir-faire en mettant sur pied des activités éducatives qui, à leur tour, lui permettent s’accroître sa capacité de production.
En 1946, elle commence à offrir un cours de tissage de deux mois à son atelier de l’avenue Union, enseignant aux élèves à créer des tweeds, des tapis, des tissus d’ameublement et des draperies. De nombreux vétérans de la Deuxième Guerre mondiale s’inscrivent au programme en vertu d’une initiative du gouvernement utilisant l’artisanat à des fins de réadaptation et de réintégration, leur offrant ainsi à la fois une activité thérapeutique et une formation pratique.
Le cours est également obligatoire pour les élèves de Bulow qui travaillent sur place ainsi qu’à l’extérieur de l’atelier. Si Bulow emploie quelques tisserands dans son atelier du centre-ville, beaucoup d’autres travaillent pour elle selon le système du travail à domicile, tissant des modèles selon ses spécifications sur leurs propres métiers dans des régions rurales du Québec, ce qui est alors considéré comme une version modernisée des anciennes méthodes de travail européennes. Le cours de formation permet à Bulow de s’assurer que ses modèles sont produits selon les normes de qualité les plus élevées.
Si Bulow s’est toujours principalement intéressée aux tissus d’ameublement et aux draperies, son atelier commence à produire dans les années 1940 de grandes quantités d’accessoires – notamment des cravates et des foulards – pour le marché du détail.
En 1951, Bulow qualifie sa ligne de cravates en laine entièrement tissées à la main – un marché qu’elle investit pratiquement par hasard – comme étant son « principal gagne-pain ». Vendues dans de grands magasins et des boutiques partout au Canada, les cravates sont offertes dans une gamme de motifs et se détaillent entre 1 $ et 2 $ dans les années 1950. La ligne d’accessoires comprend aussi des casquettes et des mitaines dans une variété de modèles et de motifs, souvent remarqués pour leur style nordique.
Canadian Homespuns se distingue non seulement pour la beauté de ses produits, mais pour l’avant-gardisme des pratiques commerciales de sa fondatrice.
On félicite Bulow pour sa capacité à déléguer du travail et à appliquer des « tactiques de grandes compagnies à une entreprise de fabrication artisanale », comme la diversification des produits mentionnée précédemment. On lui attribue effectivement le mérite d’avoir changé la perception de l’artisanat au Canada, prouvant que les produits tissés à la main pouvaient être élégants, polyvalents et adaptables. L’attention qu’elle porte aux détails et son « sens extraordinaire des combinaisons de couleurs » sont également louangés et considérés comme des éléments clés de son succès. Se portant toujours à la défense non seulement de sa propre entreprise, mais de la valeur des tissus faits à la main en général, Bulow a déclaré : « … en décoration intérieure, la palette entière d’une pièce peut être intégrée aux rideaux, aux tentures et aux tissus d’ameublement. Et il n’en coûte pas plus qu’un tissu de qualité fait à la machine. En outre, les textiles tissés à la main sont robustes et durables. »
En 1950, l’entreprise ayant acquis une excellente renommée (Bulow étant même considérée comme un « nom très connu à travers le Canada » grâce à sa populaire ligne de cravates), on lui demande de créer du tissu de rideaux tissé à la main pour l’avion North Star des Lignes aériennes Trans-Canada. Elle produit plus de 1 000 mètres de laine ignifuge, s’inspirant des couleurs de l’intérieur de l’appareil pour créer un motif rayé qui, espère la compagnie d’aviation, reflète une identité « distinctement canadienne ». Parmi les autres entreprises faisant partie de sa clientèle, mentionnons le Canadien National, le Chemin de fer du Pacifique et la Banque de Nouvelle-Écosse, qui donnent une visibilité à ses textiles d’un bout à l’autre du pays.
Vers 1957, la raison sociale de l’entreprise passe de Canadian Homespuns à Karen Bulow et, en 1959, la compagnie est vendue à Edward et Margareta Steeves. Margareta était une ancienne apprentie de Bulow pour qui elle avait aussi travaillé comme designer. La production de cravates se poursuit et celles-ci sont vendues partout au Canada – bien que certains changements soient apportés au mélange des textiles – et les tissus d’intérieur fabriqués par l’entreprise demeureront populaires pendant plusieurs années.
En 1969, poursuivant l’intérêt initial de Bulow pour l’enseignement du tissage à la main, l’entreprise – désormais appelée Karen Bulow Ltd. – est invitée par le gouvernement canadien à participer à la création d’un programme d’enseignement du tissage à Pangnirtung, un petit village sur l’île de Baffin.
Après avoir appris les techniques du tissage, la communauté créera une industrie locale du textile qui deviendra le plus grand employeur de femmes du village.
Dans les années 1970, le siège social de Bulow Ltd. déménage de Montréal à Toronto, mais l’entreprise conserve une succursale à Montréal jusqu’à sa dissolution vers 1990. Karen Bulow elle-même avait pris sa retraite en Ontario lorsque l’entreprise avait été vendue aux Steeves, et selon certaines sources, elle a continué à tisser, portant son intérêt sur les pièces murales artisanales. Bulow est décédée en 1982.
Sources
Bagg, Shannon. « Artists, Art Historians, and the Value of Contemporary Inuit Art » (Queens University, 2006).
Crawford, Gail. A Fine Line: Studio Crafts in Ontario from 1930 to the Present. Ontario: Dundurn, 1998.
Freedman, Adele. « Small Looms Loom Large. » The Globe and Mail, June 26, 1982.
Harrington, Lyn. « Karen Bulow Serves Canada as Top Weaver. » The Christian Science Monitor, January 31, 1946.
Himel, Susan and Elaine Lambert, « Weaving Reflects Inuit Life. » The Globe and Mail, September 17, 1981.
« Introduced Hand-Made Woven Ties. » The Globe and Mail, February 23, 1951.
Karen Bulow, Necktie, 1960. 139 x 8 cm. McCord Museum.
Nicholson, Patricia K. « Handicrafts- an Emergent Canadian Industry. » Business Quarterly, Fall, 1953.
« So Casting About for a Close Weave. » The Gazette, November 9, 1951.
« Wide-Scale Handicraft Project Planned as Aid for Returnees. » The Gazette, May 27, 1943.
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