John Joseph Milloy
Né à Naas, Irlande, vers 1849 - Décédé à Montréal, 1937
1870-1913
Étiquette d’une robe tailleur, J. J. Milloy, 1887. M2009.62.1.1-2, Musée McCord Stewart
Dans les années 1870, John Joseph Milloy est devenu l’un des marchands-tailleurs les plus en vue de Montréal, offrant des vêtements pour hommes prêt-à-porter et sur mesure dans sa boutique connue d’abord sous le nom de St. Joseph Clothing Hall. À compter du milieu des années 1880, alors établi au 259, rue Saint-Jacques, il acquiert une grande renommée comme « tailleur pour dames », développant une nouvelle niche commerciale.
Le Musée McCord Stewart possède dans sa collection deux rares vêtements étiquetés qui attestent la qualité de son travail et son esprit innovateur dans le domaine du vêtement féminin.
L’histoire de Milloy témoigne également de l’excellente réputation des tailleurs montréalais dans le nord-est des États-Unis, et du commerce transfrontalier illégal que cet engouement a engendré.
John Joseph Milloy est le troisième enfant d’une famille irlandaise catholique dont les cinq garçons sont nés à Naas, dans le comté de Kildare. La famille quitte le pays vers la fin de la vague d’émigration irlandaise provoquée par la Grande Famine. Le 9 juin 1853, alors que John est âgé de 4 ans, la famille arrive à Montréal pendant l’émeute Gavazzi, un conflit durant lequel les troupes armées ont fait feu sur la foule d’Irlandais catholiques protestant contre un discours anti-catholique1.
Trois ans après leur arrivée, le père de John meurt. Son acte de décès indique qu’il était manœuvre. L’aîné de la fratrie deviendra jardinier paysagiste, le deuxième fils marbrier, alors que les trois plus jeunes seront tous tailleurs. Seul John J. connaîtra un succès durable dans ce secteur, les deux autres ayant fini par occuper d’autres emplois.
Il n’existe aucune information sur le genre de formation qui aurait préparé John J. Milloy au métier de tailleur. En 1870, il s’établit comme marchand-tailleur. En 1874, il annonce qu’il vend des vêtements ainsi que de la mercerie. Cette même année, il obtient une bonne cote de crédit2.
En 1879, sa publicité vante le fait qu’il possède la plus grande maison de confection de la ville et qu’il emploie les meilleurs coupeurs.
Mais plus important encore, elle cible une clientèle d’hommes en visite à Montréal, les informant de sa capacité à fabriquer des vêtements dans un court délai3. Milloy a su reconnaître un marché lucratif hors de sa sphère locale.
Par ailleurs, Milloy ne tarde pas à élargir son champ d’activité au-delà de l’habituelle clientèle masculine. Dans les années 1880, la mode des robes et des costumes tailleurs pour femmes gagne rapidement du terrain. Les vêtements de laine féminins, notamment les habits d’équitation, faisaient partie depuis longtemps du répertoire du tailleur pour hommes, alors que les vêtements en soie et en coton étaient typiquement fabriqués par des couturières. Dans le dernier quart du 19e siècle, les femmes étant maintenant plus actives à l’extérieur de la sphère domestique et pratiquant des sports comme le tennis, le golf et la bicyclette, on a vu se multiplier les occasions où les costumes tailleurs étaient considérés comme les plus chic et les plus pratiques à porter.
Le milieu des années 1880 marque un tournant dans l’expansion de Milloy dans le domaine de la confection pour femmes.
En 1884, il décroche le premier prix pour une robe de ville, une robe du soir et une mante dans une exposition nationale annuelle de produits agricoles et commerciaux.
Dans l’édition de 1885 du guide touristique humoristique The Phat Boy’s Delineations of the St. Lawrence4, la référence à son commerce, simplement identifié comme « Milloy, le tailleur » dans les éditions précédentes, est accompagnée de la mention « où les tailleurs pour dames sur mesure sont une spécialité ».
Sur une photographie datant de 1886, la femme de Milloy porte indéniablement un costume tailleur.
En 1878, John Joseph avait épousé Josephine Shea de Brooklyn, New York, fille d’immigrants irlandais née aux États-Unis, qui avait terminé sa scolarité dans un couvent près de Montréal. Le couple a eu plusieurs enfants, comme en témoigne un portrait de famille.
Durant le reste de sa carrière, les publicités de Milloy mentionnent cette spécialité de sa maison. Une annonce parue en 1890 dans un guide d’hôtel destiné aux touristes décline la gamme de vêtements pour femmes qu’il est en mesure d’offrir, soit « des tailleurs, des habits d’équitation, des châles, des manteaux de type Newmarket et Ulsterette, des manteaux de ville, etc.5 »
Les offres d’emploi publiées par Milloy suggèrent que sa capacité s’est accrue avec le développement de sa clientèle féminine.
De 1886 à 1888, près du tiers des postes annoncés s’adressent à des ouvriers spécialisés en vêtements pour femmes6.
En 1887, il annonce être à la recherche de trois tailleurs – de première classe seulement – pour travailler sur les tailles des vêtements féminins, et de deux personnes qualifiées pour la confection des jupes, ce qui indique que la fabrication d’un vêtement nécessitait au moins deux spécialités distinctes. Mais cette recherche intensive de main-d’œuvre pourrait aussi être le signe d’un taux de roulement élevé du personnel.
Au fil des décennies, plusieurs nouvelles entreprises de confection ont publicisé le fait que leur fondateur avait travaillé avec Milloy. Le nombre de ces jeunes pousses laisse penser que Milloy a joué un rôle important dans la formation de ses compétiteurs, et que le fait d’avoir acquis de l’expérience à ses côtés leur donnait de la crédibilité. Mais la plupart de ses rivaux n’ont pas fait long feu dans le domaine, incluant Patrick Arthur, le plus jeune frère de Milloy, qui a ouvert son propre établissement en 1884 pour le fermer en 1887 seulement. Il se lancera plus tard avec succès dans la fabrication de bière de gingembre.
En 1893, J.J. Milloy jouissait déjà d’une réputation enviable auprès des femmes des classes supérieures de la société canadienne, notamment les épouses de ses compatriotes britanniques.
Dans une lettre datée de cette même année de Lady Stanley, la femme du gouverneur général sortant, adressée à Lady Aberdeen, l’épouse du prochain gouverneur général, elle la prévient qu’il n’y a pas de bonne couturière à Ottawa. Elle lui recommande toutefois « quelqu’un d’excellent pour confectionner des costumes tailleurs à Montréal, du nom de Milloy; ses prix sont élevés et il est difficile, mais il fait du très bon travail7 ».
Durant sa carrière, Milloy a subi plusieurs revers importants qui lèvent le voile sur un aspect peu connu du commerce du vêtement à Montréal. À la fin de 1885, il semblerait que les fonctionnaires des douanes américaines et le département du Trésor américain étaient au courant depuis plus d’une décennie que des tailleurs canadiens embauchaient des agents aux États-Unis pour rencontrer des clients, prendre leurs mesures et passer des commandes pour des vêtements masculins et féminins. Par exemple, le tailleur pour hommes Gibb, un concurrent montréalais, avait un agent new-yorkais durant cette période. Apparemment, le carnaval d’hiver de Montréal, qui a eu lieu cinq fois entre 1883 et 1889, aurait grandement aidé Milloy à bâtir sa réputation auprès de la clientèle américaine.
Milloy a souvent été aperçu en train de traverser la frontière avec de grosses valises, mais il semble qu’il ait aussi engagé un porteur pour wagons-lits qui aurait glissé des colis sous les couchettes supérieures. Selon l’agent spécial du Trésor américain pour le Vermont et le nord de l’État de New York, J.J. Milloy aurait apporté pour 20 000 $ de vêtements de cette façon pendant une décennie, sans payer les frais de douane de 45 %. Milloy était l’un des hommes d’affaires montréalais que les agents des douanes avaient l’ordre d’arrêter s’ils franchissaient la frontière.
La veille de Noël en 1885, alors qu’il était en route pour Brooklyn pour supposément visiter la famille de sa femme, Milloy fut arrêté à Plattsburgh, New York. Les tribunaux américains ont été saisis de l’affaire qui s’est étirée pendant des années. En 1889, il a plaidé coupable et a dû payer une amende de 200 $. Comme cette somme est loin d’équivaloir à 45 % de 20 000 $, il semble que les accusations aient été considérablement réduites.
En 1892, Milloy est passé près d’être accusé de nouveau de contrebande, mais on a découvert qu’un ancien employé, qui avait récemment lancé sa propre entreprise, avait soudoyé le coupeur de Milloy et un agent des douanes américain afin de tendre un piège à Milloy et l’obliger à abandonner les affaires.
Cet incident est révélateur de la compétition féroce qui régnait dans le domaine de la confection à Montréal.
En fait, le coupeur qui avait acheté l’entreprise du plus jeune frère de Milloy, Patrick Arthur, en 1887 a fermé ses portes un an plus tard, donnant comme raison qu’il y avait trop de tailleurs dans la ville.
En 1895, Milloy a déménagé sa boutique de la rue Saint-Jacques pour s’installer aux 2301 et 2303, rue Sainte-Catherine, alors située entre l’avenue McGill College et la rue Mansfield. Il y est resté pendant dix ans, pour ensuite s’établir brièvement rue Peel, puis sur l’avenue McGill College, avant de fermer son entreprise vers 1913. Lui et son épouse sont décédés en 1937.
À cette époque, la famille de Milloy était bien connue à Montréal pour un autre type d’activité commerciale. Sa mère et son frère aîné possédaient une librairie très en vue, longtemps située dans une vieille maison du côté nord de la rue Sainte-Catherine, à l’ouest de Bleury8.
Sources
1. Montreal Gazette, 2 mai 1921.
2. Dun, Robert Graham. Mercantile Agency Reference Book, Montréal, Mercantile Agency, septembre 1874, p. 89.
3. Phelan Brothers’ St. Lawrence Traveler, Montréal, Phelan Bros., 1879, p. 111.
4. Babbage, E. F. The Phat Boy’s Delineations of the St. Lawrence River and its Environs, 4e édition, Rochester, NY, Post-Express Printing Co., 1885.
5. The Windsor Hotel Guide to the City of Montreal and for the Dominion of Canada, Montréal, J. Lovell, 1890, p. 121.
6. Annonces publicitaires publiées dans le Montreal Daily Witness, 1886-1888.
7. Lettre de Lady Stanley à Lady Aberdeen, 2 septembre 1893, MG27-IB5, Bibliothèque et Archives Canada, citée dans Doris French, Ishbel and the Empire, Toronto et Oxford, Dundurn, 1988, p. 133, 326.
8. Montreal Star, 2 février 1911; Montreal Gazette, 14 avril 1990.
Date de publication
02/02/2023
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