Manteau de soirée (détail), Gaby Bernier, vers 1930. Don de Dinah Duffield, M979.41.1 © Musée McCord
Gabrielle Bernier, dite Gaby, obtient un premier véritable emploi de couturière vers l’âge de 19 ans, chez les réputés tailleurs Saint-Pierre et Oliver, rue Sainte-Catherine Ouest. Craignant de finir comme les « vieilles filles » qu’elle côtoie dans l’atelier des maîtres tailleurs, elle déniche un nouveau travail après seulement quelques semaines. Edna Jamieson l’engage comme « première » de son salon Madame de Pompadour, situé sur la rue Peel. En ce début de décennie 1920, alors que l’habillement féminin haut de gamme est dominé par le « sur-mesure », le salon de madame Jamieson devance son époque en offrant aux clientes des modèles tout faits.
Gaby se révèle naturellement à l’aise dans cette formule et l’originalité de ses modèles attire de nouvelles clientes, qui se recrutent parmi les femmes les plus élégantes de Westmount et du Golden Square Mile.
Autour de 1924, le salon est déménagé au 2039, du côté est de la rue Peel, et rebaptisé Pompadour Shoppe. Les affaires vont rondement et Gaby en a plein les bras à superviser l’ornementation minutieuse de sequins, de perles et de paillettes de ces robes longilignes dont raffolent les flappers montréalaises. Un jour, totalement débordée, elle appelle à l’aide sa sœur Éva qui vient de sortir du couvent. Deux semaines plus tard, Éva fait partie du personnel régulier du salon. Dorénavant, les sœurs Bernier feront équipe et ne se quitteront jamais plus.
En 1927, Gaby lance sa propre affaire et s’installe au 1327 de la rue Sherbrooke Ouest, à quelques pas de l’hôtel Ritz-Carlton. Son exemple sera bientôt suivi par presque tous ceux et celles dont l’ambition est d’accéder au pinacle de la profession.
Les femmes habillées par Gaby, pendant ses 40 ans de carrière, font partie d’une élite, soit économique, soit politique, soit artistique.
Certaines d’entre elles jouissent par ailleurs d’une renommée internationale, comme la duchesse de Windsor, la médaillée olympique Barbara Ann Scott, ou encore l’épouse de Ray Atherton, ambassadeur des États-Unis au Canada de 1943 à 1948.
Gaby aime bien travailler directement « sur » sa cliente. Quand celle-ci n’est pas disponible pour les essayages, le couturier improvise sur un mannequin de bois ou à partir d’un moulage de toile. Gaby appose généralement à ses créations une étiquette de soie tissée en France, noire ou blanche, portant la mention Gaby Bernier, Montréal, parfois avec l’adresse du salon. L’étiquette blanche est destinée aux robes de mariée et aux vêtements clairs, tandis que l’étiquette noire est réservée aux manteaux, aux tailleurs et aux pièces les plus foncées. Mais dans le feu de l’action, les règles ne sont pas toujours appliquées à la lettre et parfois, l’étiquette est tout simplement oubliée.
À partir de 1927, Gaby se rend à Paris chaque année, en août, voir les collections et se ressourcer. Introduite dans les maisons de haute couture et chez les tisserands par Marcel Louis, représentant de la maison Bianchini-Férier à Montréal, la Canadienne prend plaisir aux usages parisiens. Comme tous les acheteurs étrangers, Gaby apprend à mémoriser les modèles pendant les défilés et à les dessiner fidèlement une fois de retour à sa chambre d’hôtel, en vue de les reproduire pour ses clientes. Désireuse d’acquérir un modèle authentique, ses moyens de 1927 lui permettent de rapporter un Molyneux, à défaut d’un Chanel. En 1928, Gaby déplace son salon dans une demeure voisine, au numéro 1316, où elle élit domicile avec sa sœur et sa mère.
Le salon des sœurs Bernier continue de prospérer, malgré l’effondrement boursier de 1929, et reste l’un des mieux fréquentés tout au long des années 1930 et 1940.
À l’époque, les grandes familles nord-américaines célèbrent encore les mariages avec un faste inspiré de l’aristocratie européenne, ce qui procure à Gaby de nombreuses occasions de créer des robes spectaculaires.
Après huit ans sur la rue Sherbrooke, la construction du nouveau magasin Holt Renfrew, qui allait ouvrir en 1937 à l’angle des rues Sherbrooke et de la Montagne, entraîne la démolition du logis des sœurs Bernier. Gaby en profite pour donner davantage d’ampleur à son entreprise. Elle se réinstalle au 1524 de la rue Drummond, juste derrière le Ritz-Carlton. Elle retient de plus les services d’un tailleur et d’un fourreur, qui travailleront avec elle, sur place.
Au cours des années 1930, Gaby est l’auteure de plusieurs innovations dans le milieu montréalais de la mode.
En 1936, elle réserve une pièce de sa maison de haute couture à une boutique de prêt-à-porter et d’accessoires, comme l’avait fait Elsa Schiaparelli l’année précédente. Dans ces mêmes années, avant tous les autres couturiers montréalais, elle crée des tailleurs-pantalons qui font sensation. En 1938, au sommet de son art, elle organise un défilé solo au Ritz-Carlton, où elle présente une collection de 48 tenues complètes, comprenant des tailleurs modelés dans les plus beaux lainages de Lesur et Rodier, ses propres créations de « haute fourrure » et de magnifiques robes coupées dans les soies de Ducharne et de Bianchini. Puis, survient la guerre. Gaby, comme bien d’autres, doit se tourner vers New York pour nourrir son inspiration. En 1942, elle relocalise de nouveau son salon. Cette fois, elle acquiert une maison située au 1669, rue Sherbrooke Ouest, où elle travaillera et vivra avec sa sœur durant 16 ans. Désormais, pour s’offrir une création Bernier, il faut débourser autant que 500 dollars pour une robe.
Tout au long de sa carrière, Gaby est invitée à créer des costumes. À la fin de l’année 1927, à l’occasion d’un bal costumé organisé à Québec par le lieutenant-gouverneur et auquel participent plus de 1 000 invités, elle crée pour Patricia Deakin un costume représentant Diane de France, fille de Henri II. Elle réalise en 1929 les tenues des trois principaux personnages féminins de la pièce Dear Brutus, mise en scène par James Barrie au McGill Player’s Club. En 1944, elle crée des robes de bal pour Madeleine Ozeray et Janine Sutto, vedettes du film Le père Chopin, de Fedor Ozep.
Gaby fait aussi des promotions pour des manufacturiers de tissus. Au début des années 1930, elle crée des modèles pour Celanese, dont certains sont révélés à un public sélect, dans la salle du chic restaurant du neuvième étage du magasin Eaton. Vers 1936, elle crée pour Wabasso une collection de vêtements de coton qui seront présentés lors de défilés à travers le Canada.
Au tournant des années 1950, Gaby est toujours un couturier très en vue, mais ses intérêts se diversifient. Un petit hôtel et un restaurant à Oka, puis une entreprise immobilière requièrent une part de sa créativité. Fin des années 1950, elle vend finalement la propriété de la rue Sherbrooke. Retirée à Oka durant les années 1960, elle délaisse la couture. Sa santé s’étant détériorée, elle revient à Montréal au début des années 1970 et s’éteint le 23 juin 1976. Ses archives sont conservées au Musée McCord. En mémoire de la créatrice, le cégep Marie-Victorin inaugure en mars 2003 le pavillon Gaby Bernier, qui accueille les programmes d’enseignement en mode de cette institution. Une rue à Chambly porte également son nom. Pauline Gill a publié une série de trois romans historiques inspirés de la vie de Gaby Bernier.
Sources
Guersney, Betty. Gaby. The Life and Times of Gaby Bernier Couturiere Extraordinaire, Toronto, Marincourt Press, 1982, 200 p.
Date de publication
01/10/2004
Rédaction
Dicomode
Révision
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